Comment sont découverts et mis au point les médicaments ?

L’affaire de la chloroquine du Pr Didier Raoult met un coup de projecteur sur la recherche médicale en matière traitement. Beaucoup s’expriment à ce propos sans trop savoir souvent de quoi il s’agit.

En 2012, j’avais publié un article que j’avais intitulé : « Ces molécules qui soulagent les douleurs de l’âme ». Dans cet article, je faisais un point succinct sur l’histoire des psychotropes et sur l’état de la recherche actuelle en pharmacologie et en neurosciences.

J’ai choisi de publier ici quelques extraits de cet article qui peuvent permettre de mieux comprendre le débat ouvert par l’usage de la chloroquine dans le traitement à venir du Covid-19. Étant psychiatre, je parlais des psychotropes mais ceci est valable pour l’ensemble des médicaments prescrits dans quelques spécialités que ce soit.

J’ai reproduit en italique les extraits. Les ajouts sont en caractère normal et figure en bleu ce qui peut servir au débat actuel sur la chloroquine.

Voici donc ce que j’écrivais en 2012 :

L’essentiel de ce qui concerne la pharmacopée psychiatrique prend son origine dans les décennies 1950 et 1960. Avant cette période, les malades étaient en proie à leurs peurs, à leurs délires ou à leur détresse sans que l’on soit en mesure de les soulager véritablement. Ceux qui étaient hospitalisés l’étaient durant des années, à vie parfois, livrés à d’épouvantables souffrances. Faute de pouvoir soulager ces malheureux, les médecins les observaient attentivement et rangeaient leurs troubles selon un classement de plus en plus précis. Parfois, étaient tenté un traitement psychologique ou moral ; ailleurs, on recourrait à des traitements de choc de toutes sortes. Parmi ces méthodes, les plus modernes, à l’époque, étaient l’insulinothérapie qui consistait à injecter de l’insuline au délirant afin de produire un coma par défaut de sucre dans le sang. Ou bien encore, on inoculait l’agent de la malaria (le paludisme) ce qui provoquait un état fébrile salutaire. Sans oublier, méthode de choc par excellence, les électrochocs apparus au milieu des années 30 et dont tout le monde a entendu parler. Quant à la pharmacie, elle ne proposait que très peu de produits. Il y avait le sirop de chloral, bien insuffisant à réduire les angoisses des patients les plus agités, délirants ou en état d’excitation incoercible, et le gardenal, un barbiturique, peu efficace là encore et dont on apprenait à connaître les effets indésirables. Et c’est à peu près tout. L’espérance de vie des « aliénés » était largement entamée et ils mourraient généralement en état de démence, démence précoce – c’était le nom donné à la schizophrénie – ou démence vésanique, engendrée par la maladie mentale. Dément ou fou, était des termes confondus dans le langage populaire de cette époque et c’est sans doute pourquoi, aujourd’hui, on préfère le terme d’Alzheimer à celui de démence qui, pour la médecine est la dégénérescence qui touche le cerveau de nos séniors – « anciens » est le terme actuellement préféré à sénior.

Telle est la situation lorsqu’en 1950, au Val-de-Grâce, le docteur Henri Laborit tente de mettre au point un produit qui pourrait être utile aux anesthésistes en leur permettant de lutter contre les réactions allergiques aux conséquences parfois fatales : le choc opératoire. Il s’intéresse en particulier à la chlorpromazine un colorant jaune utilisé en teinturerie mais, après tout, la pénicilline est issue d’une moisissure !, une molécule fournie par les laboratoires Rhône-Poulenc Et là, chose étrange, il remarque que cette nouvelle molécule laisse les patients dans un état de détente et d’indifférence durant les heures qui suivent le réveil post-opératoire. Comprenant l’intérêt qu’il y aurait à tirer de cette substance pour la psychiatrie, il propose à ses collègues psychiatres militaires de l’expérimenter. Ils se montrent sceptiques. Têtu, Laborit se rend à l’hôpital Sainte-Anne, tout près du Val-de-Grâce, et finalement ce sont les professeurs Delay et Deniker qui parviennent à démontrer l’activité remarquable de la chlorpromazine dans le traitement des agitations et des délires jusqu’alors irréductibles. Ainsi naquit le largactil, antipsychotique de la première génération, un terme qui sera employé bien plus tard, Delay et Deniker définissant ce produit comme étant un neuroleptique pour signifier qu’il enserre les nerfs car, si le largactil calme les angoisses et réduit agitations et hallucinations, il engendre également et systématiquement des troubles neurologiques qui s’apparentent à la maladie de Parkinson, donnant un air figé au patient. C’est notamment cette allure caractéristique qui contribua à l’appellation de camisole chimique utilisée par les détracteurs.

Autre date, 1957. Après la découverte de la chlorpromazine issue d’un produit qu’on va dire anti-allergie pour ne pas employer le terme plus exact d’antihistaminique, une autre molécule assez proche, ayant une analogie structurale et des propriétés assez voisines, intéresse les chercheurs : l’imipramine. Mais ses effets « antipsychotiques » ne sont pas probants et on pense l’abandonner quand Roland Kühn s’aperçoit qu’elle agit sur des patients dépressifs. L’imipramine, appelée tofranil, devient alors le premier médicament dit antidépresseur.

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Bien plus tard, dans les années 80, est découverte, par hasard, la fluoxétine qui deviendra le chef de file d’une nouvelle famille d’antidépresseurs, les ISRS. Ces derniers auront l’immense avantage d’engendrer beaucoup moins d’effets indésirables que leurs prédécesseurs, une qualité qui fera leur succès. Et tout le monde connaît désormais cette fluoxétine dont le nom commercial est le prozac.

Autre avancée. En1949, en Australie : la découverte des sels de lithium dans le traitement de ce qu’on appelait encore la psychose maniaco-dépressive devenue aujourd’hui les troubles bipolaires. On la doit au docteur Cade qui étudie une substance potentiellement utile en rhumatologie quand il s’aperçoit que le solvant qu’il emploie pour rendre son produit injectable possède un effet calmant sur l’animal. Ce solvant contient du sel de lithium, un ion métallique très léger. Cade expérimente alors son solvant au lithium dans le traitement des agités. L’effet est intéressant mais malheureusement il y a des accidents dont certains sont mortels. Le produit est abandonné jusqu’à ce qu’un Danois, Morgen Schou, reprenne l’expérience pour tenter de comprendre pourquoi certains patients ont été intoxiqués et d’autres pas ; il émet alors l’hypothèse que la toxicité, comme l’efficacité, seraient liées à la concentration du lithium dans le sang. Quinze années sont nécessaires pour démontrer cette hypothèse, surmonter les appréhensions et aussi, il faut bien le dire, la réticence des laboratoires pharmaceutiques pour lesquels ce produit a l’inconvénient d’être peu rentable économiquement parlant. Il faudra donc attendre la fin des années 1960 pour que ce traitement finisse par s’imposer. En surveillant la concentration sanguine en lithium pour ajuster la dose utile et éviter les surdosages, on a modifié radicalement l’évolution des troubles bipolaires, espaçant les rechutes et atténuant l’intensité des moments critiques. Plus tard, certains médicaments utilisés dans le traitement de l’épilepsie démontreront une activité comparable à celle du lithium et compléteront l’arsenal thérapeutique : ce seront la carbamazépine ou tégrétol et les valproates que sont la dépamide et plus récemment le dépakote.

Quant aux tranquillisants usuels, ils ont vu le jour en 1960 avec le librium à partir de produits réputés avoir une action relaxante sur les muscles. Suivront le valium et tous ses dérivés que sont le tranxène, le lexomil, le témesta, le xanax et tant d’autres médicaments aujourd’hui largement prescrits et qui appartiennent à une famille de produits qu’on appelle les benzodiazépines, un nom en rapport avec la structure moléculaire de base. En abrégé : les BZP.

Ainsi, comme on le voit, contrairement à ce qu’on pourrait croire en lisant une certaine presse ou certains articles spécialisés, aucune des grandes découvertes en matière de médicaments psychotropes n’est issue de la recherche pure ou fondamentale ; tous, neuroleptiques, anti psychotiques, antidépresseurs, tranquillisants… ont été découverts de façon fortuite grâce à l’observation attentive des malades et à la curiosité de leurs médecins. Ce sont donc des découvertes totalement empiriques et les neurosciences qui, parfois, l’oublient ou tentent de le faire oublier, n’ont fait, en réalité, que suivre les pas des médecins.

Donc, après qu’un médecin a repéré les propriétés d’une substance, la recherche en pharmacologie s’empare de ladite substance pour l’étudier. Et là, deux remarques préalables s’imposent. La première consiste à mettre l’accent sur le fait qu’en pharmacologie la recherche incombe aux laboratoires pharmaceutiques privés. Or, concevoir un médicament représente un coût et demande du temps. Et les échecs sont fréquents. On va donc au plus simple et on va se contenter d’éprouver des molécules de structures chimiques identiques ou très proches de celles des substances révélées empiriquement.

Ceci est encore plus vrai en 2020, les firmes pharmaceutiques ayant des objectifs à court terme. Le coût aussi est important. Or il faut une dizaine d’années pour produire une molécule nouvelle et la soumettre à l’expérimentation sans assurance quant au résultat final. Les firmes n’ont plus ni le temps ni d’argent à investir sur de l’hypothétique, ce qui appauvrit la recherche.

On va donc faire porter la différence sur un ou deux radicaux en plus ou en moins d’une molécule existante en espérant améliorer l’efficacité tout en réduisant autant que possible les effets indésirables. Ainsi sont nés par tâtonnement les « enfants » du largactil, du tofranil, et plus tard, ceux du prozac, lui-même découvert fortuitement.

La seconde remarque concerne le caractère scientifique de la recherche en pharmacologie car, si en effet, la pharmacologie est bien une science, pour autant elle n’est pas une science exacte, ou dure, comme peuvent l’être les mathématiques qui reposent sur la démonstration d’une logique infaillible. Ici, on œuvre dans le champ des sciences humaines fondées sur l’observation et sur l’expérimentation avec tout ce que cela comporte d’approximation. 

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Mettre au point un nouveau psychotrope (idem pour toute molécule) suit un long processus expérimental avant que celui-ci obtienne une autorisation de mise sur le marché.

Remarque : la chloroquine a une AMM ainsi que l’azythromycine mais pour des indications données, et pour ce qui concerne la chloroquine, pas pour le traitement du Covid-19 comme le précise le dictionnaire Vidal ce jour (demain, ce sera peut-être différent) :

Information importante COVID-19 : la prescription et la délivrance en officine de Plaquenil sont autorisées en ville dans les indications de l’AMM : polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux (discoïde et subaigu), lupus systémiques et lucites. Pour rappel, Plaquenil est soumis à prescription médicale (liste II) depuis janvier 2020.

Pour la prise en charge des patients atteints de COVID-19, il est demandé de respecter les dernières recommandations du Haut Conseil de Santé Publique qui, en l’état des connaissances, préconise de réserver l’utilisation de Plaquenil le cas échéant exclusivement pour les patients pris en charge au sein des établissements de santé.

Une première étape passe par des tests effectués sur l’animal, un rat en général, qui permet de repérer les effets indésirables, de déterminer les doses thérapeutiques, toxiques et celle qui entraîne la mort, la dose létale, mais aussi, et c’est une part essentielle, d’évaluer les propriétés cliniques du produit. Et pour cela, on a recours à des modèles expérimentaux …/…

Arrivent ensuite les essais cliniques sur l’homme : ce sont les phases deux et trois. La phase deux se déroule sur des volontaires sains, des hommes ou des femmes qui acceptent de servir de cobayes moyennant une rémunération. Cette étude sur l’homme permet d’affiner les posologies utiles et de préciser les éventuels effets indésirables intervenus aux différents dosages. La phase trois est plus intéressante car elle s’effectue sur des malades choisis généralement en milieu hospitalier…/…

C’est le cas des études actuelles dont Discovery qui sont des phases trois visant à évaluer l’efficacité et la tolérance chez des patients de telle ou telle molécule susceptibles d’agir contre le coronavirus.

Ces études sont conduites le plus souvent en double aveugle, c’est à dire que ni le médecin prescripteur ni le patient ne savent si ce qui est prescrit appartient au lot contenant l’antidépresseur de référence ou à celui contenant la nouvelle molécule ou bien le placébo. Seul le laboratoire expérimentateur sait et il ne lève l’aveugle qu’à la fin de l’étude ou lorsqu’intervient un incident.

Il en va ainsi d’un patient atteint du Covid-19 qui est sélectionné et invité (avec son consentement éclairé) à participer à l’étude Discovery ; ni lui, ni le médecin ne savent si le produit administré sera un antivirus (plusieurs sont à l’étude), la chloroquine (qui a été ajoutée au protocole) ou un placébo.

L’observation et l’expérimentation, ont donc permis la découverte et la mise au point de psychotropes de plus en plus efficaces et ayant de moins en moins d’effets indésirables ; mieux tolérés, leur prescription s’en trouve facilitée et l’adhésion du patient au traitement s’en trouve renforcée. Tout n’est pas parfait, bien sûr, mais cela représente néanmoins un net progrès même si sont soulevées des questions liées à leur essor considérable et à leur généralisation sur les ordonnances.

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Depuis les années 80, étant de mieux en mieux tolérés, les psychotropes jusqu’alors réservés aux patients des psychiatres sont prescrits par les médecins de ville (d’où leur intérêt pour les firmes et le prozac à fait ainsi la fortune du laboratoire Lilly). Mieux acceptés, ils sont même réclamés pour parer aux insomnies, aux angoisses à la dépression et, au-delà, pour nous aider à surmonter un deuil ou tout simplement pour nous aider à supporter nos soucis quotidiens, notre stress ou notre douleur d’exister. Plébiscités, ils sont dans le même temps suspectés. Sont-ils si efficaces qu’on le prétend ? Un article de presse, dernièrement, relatait les doutes de certains médecins concernant les propriétés réellement antidépressives des nouvelles molécules. Sont-ils si inoffensifs qu’on le dit ? Là encore, un article récent alertait l’opinion sur une étude mettant en cause les psychotropes dans la maladie d’Alzheimer. Ailleurs, on met en garde sur les méfaits de certains antipsychotiques ; nécessaire information après l’affaire du médiator ; principe de précaution. Mais rappelons-nous ce qu’étaient la psychiatrie avant l’avènement des psychotropes.

Alors, allez savoir ? Pilules miracles ? Pilules du bonheur ? Pilules de tous nos tourments ? Ou bien alors, camisoles chimiques, molécules diaboliques conduisant au lavage de cerveau ou à l’abrutissement des masses ?

Alors : remède ou poison ? L’un et l’autre et les deux à la fois. Mais si l’on en croit les enquêtes, la défiance n’empêcherait pas nos concitoyens de recourir à toute sorte de psychotropes sur ordonnances mais pas seulement ; champions du monde, ils ne sont pas loin de l’être également en matière de consommation d’alcool, un tranquillisant naturel – les Italiens nous devanceraient – et notre jeunesse (et des moins jeunes) n’ignore plus rien des vertus du cannabis, et autres produits naturels ou non.

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A l’heure actuelle, aucun traitement n’a fait véritablement ses preuves contre ce Covid-19.

 

La chloroquine associée à azythromycine semble empiriquement efficace même si on est déjà au-delà du stade de l’empirisme puisque cette action a été démontrée in vitro (en laboratoire sur le virus lui-même) et in vivo avec suivi de la virémie (charge virale) sur de nombreux patients, en Chine, et ailleurs en Asie, et à l’IHU de Marseille où exerce le Pr Didier Raoult – une étude avec 24 patients, une autre avec 80 patients et la dernière avec 1 000 patients. Avantage de ce traitement : les molécules sont connues et prescrites depuis longtemps. Elles ont assez peu de contre-indications et peu d’effets secondaires. Elles sont immédiatement disponibles. Il n’y a aucune alternative actuelle. Elles ne coûtent rien : 12 € par patient traité. Il serait intéressant à ce propos de savoir si des patients prenant régulièrement du plaquénil (la chloroquine) pour un lupus ont été infestés par le coronavirus.

 

Les alternatives à ce traitement sont des molécules antivirales comparables à celles utilisées dans le traitement de l’hépatite virale et le SIDA ou de la grippe comme le tamiflu. On les connaît un peu et l’on connaît aussi leurs contre-indications et leurs effets indésirables qui ne sont pas négligeables. Le prix aussi n’est pas négligeable.

Reste enfin la prévention par un vaccin qui n’est pas encore au point et ne le sera peut-être jamais.

 

A propos pascaldubellé

Psychiatre - psychanalyste - auteur
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